28 Octobre 2018
Nous sommes toujours dans le nord de Luzon, aux Philippines, dans la région Cordillera et la province d'Ifugao.
Je vous ai déjà parlé de Batad ici. Aujourd'hui on part pour un tour des environs de Banaue, sur la journée, avec notre guide et son tricycle (plus d'infos sur les transports ici)
Banaue c'est donc une petite ville de la province d'Ifugao, peuplée de près de 22000 âmes. Ce qui fait sa reconnaissance mondiale, c'est bien évidemment les rizières en terrasses qui l'entourent, considérées par certains comme la 8e merveille du monde.
Les rizières de Batad, Bangaan, Mayoyao, Nagacadan, et Hungduan sont inscrites au Patrimoine Mondial de l'Unesco depuis 1995. (A noter que les rizières de Banaue en elles-mêmes ne sont pas inscrites, il s'agit plutôt d'un ensemble des terrasses environnantes)
Il s'agit donc de cultures de riz recouvrant une superficie de 400 km2 à 1500m d'altitude. On dit que si on mettait toutes les cultures à la suite ça ferait la moitié du tour de la Terre. Y sont plantés aussi d'autres plantes et légumes. Les cultures sont alimentées en eau grâce à un système d'irrigation millénaire, provenant des sources des forêts tropicales au-dessus (on voit partout des petites cascades qui s'écoulent des montagnes).
A noter que le riz est organique, aucune trace d'OGM.
"Sais-tu qui a construit les terrasses?" C'est la question que m'a posé notre guide. Quand je lui ai répondu "les gens d'Ifugao?", il m'a dit "mais non voyons!" - "Qui alors?" - "Les extraterrestres !"
Non non, ce sont bien les indigènes d'Ifugao qui ont construit ces terrasses creusées dans les montagnes et entourées de murs, il y a plus de 2000 ans pour la plupart. En fait, elles n'ont pas été construites en une traite, mais plutôt sur la durée.
Ils ont commencé par la base, puis à chaque fois qu'ils avaient besoin de plus d'espace pour les cultures, ils ont monté, monté, monté sur les montagnes. Pouf, ça fait des rizières en terrasse.
Tout a été fait à la main, et ce savoir-faire a été transmis de génération en génération au sein de l'ethnie d'Ifugao.
Les habitants d'Ifugao sont les descendants des indigènes qui ont construit les terrasses. Ifugaos, ou Igorot, veut dire "peuple des montagnes".
Traditionnellement, ils étaient réputés pour leurs terrasses et la culture du riz, mais aussi pour la chasse aux têtes qu'ils pratiquaient. (En gros, c'est comme les chasseurs qui partent à la chasse et récupèrent les têtes des animaux qu'ils ont abattu pour en faire des trophées, mais avec des humains. Evidemment, cette pratique-là n'existe plus, et a été interdite.)
Les Ifugaos sont l'ethnie qui a été la moins influencée par les espagnols. Les gens sont encore très attachés à leur culture et leurs traditions : fêtes, folklore, mythes, danses, artisanat, armes, et même leurs croyances locales qu’ils ont aujourd'hui intégrées au christianisme. On croise aussi encore des gens habillés de façon traditionnelle, même si ceux qu'on croise au niveau des viewpoint sont surtout là pour les photos. Vous pouvez voir ci-dessous la magnifique coiffe qui orne la tête de notre ami. J'étais curieuse et je voulais le voir de plus près, et il était très fier de me montrer ce chapeau fait de bec d'oiseau, de plumes, et d'un crâne de singe.
Le rôle des hommes est de construire et maintenir les terrasses, tandis que les femmes sont celles qui plantent le riz et s'occupent des cultures. Pour cette raison, on croise beaucoup de femmes agées très très courbées, car elles ont passées toute leur vie penchées à s'occuper du riz. Notre guide m'a dit "on respecte beaucoup les femmes, car c'est elles qui s'occupent du riz. Et nous les hommes, pendant ce temps, on se laisse vivre et on boit."
Une page très intéressante pour en savoir plus sur les gens d'Ifugao ici
Les hommes d'Ifugao mâchent du "moma". Il s'agit de noix de betel, ou noix d'arec, enroulée dans une feuille. C'est l'équivalent du tabac à chiquer. C'est assez particulier, j'ai pas testé hein, ça colore leurs dents en orange et ils crâchent rouge à tout va (désolée c'est pas très glamour, mais on dirait que leur bouche saigne et qu'ils crachent du sang). Vue que ça tâche, on voit souvent des panneaux "no moma" ou "no spitting of moma", en gros "merci de ne pas cracher votre moma ici".
Ce gamin a un vélo en bois :
Aujourd'hui, les fermiers se font vieux et les jeunes préfèrent quitter la région pour aller travailler dans les villes. Cela amène à un déclin de la population, ainsi qu'à l'abandon progressif des cultures. Notre guide m'a dit que la production de riz n'est pas exportée, et est à peine suffisante pour la consommation locale.
Par ailleurs, la région étant de plus en plus visitée par les touristes du monde entier, les locaux préfèrent se tourner vers des activités liées au secteur du tourisme, qui rapportent bien plus d'argent.
En plus du déclin de la population locale et l'abandon des cultures, les rizières subissent l'érosion, et sont sujets aux affaissements et éboulements de terrain, dues aux conditions climatiques et aux nombreux typhons que la région essuie chaque année. Elles doivent constamment être rénovées et entretenues. Cependant, Ifugao étant une région très pauvre, les familles n'ont pas forcément les moyens d'entretenir les rizières qu'ils abandonnent peu à peu.
Les rizières sont également infestées de vers géants qui causent des dégâts majeurs et constituent une véritable menace. Cela serait dû aux cultures de légumes que les habitants ont développés ces dernières années.
La province d'Ifugao étant protégée et déclarée "trésor national", le gouvernement local mène des actions de préservation et d'entretien des terrasses. Par ailleurs, malgré l'accès difficile qui rebute le tourisme de masse (et tant mieux d'un côté), le gouvernement local développe le tourisme avec des pratiques plus éco-responsable et tournée vers la culture locale, afin de valoriser la région et participer à son développement et sa préservation.
Nous avons passé la journée dans les environs de Banaue, avec notre guide et son tricycle. Comme je l'expliquais ici, nous avons payé 2600 pisos pour l'ensemble de nos transports sur les 2 jours. Pour Batad il n'est pas nécessaire d'avoir un guide, mais pour Banaue je pense que c'est plutôt obligatoire. Déjà, les différentes rizières, viewpoints, et lieux d'intérêts sont assez loin entre eux, et il est très très facile de se perdre dans cette région reculée ! Je ne me voyais pas faire à pieds ce qu'on faisait en plusieurs heures en étant motorisés. Par ailleurs, d'un point de vue culturel, c'est intéressant d'écouter les guides nous parler de leur région et ces terrasses.
Sinon, tout comme Batad, les environs de Banaue sont à couper le souffle. C'est absolument sublime. je pense qu'il y a également plus d'option pour manger et se loger sur Banaue que Batad. Néanmoins, j'avoue avoir une préférence pour Batad. J'aime son côté encore plus reculé, coupé du monde et difficile d'accès.
Depuis, j'ai envie de voir d'autres rizières en terrasses en Asie. Mais d'un côté, Ifugao a tellement marqué mon esprit que je pense qu'il me sera difficile de faire mieux ! C'était pour moi un gros bol d'air frais. J'en ai pris plein les yeux et ça m'a fait le plus grand bien ! Bref, c'était un réel plaisir !
J'espère que ces quelques articles sur Banaue et Batad vous ont plu, et vous ont donné envie de voir cette merveille de vos yeux !