5 Août 2020
J'ai presque fini de vous parler de Chengdu, mais avant de clore ce chapitre, c'est l'heure pour moi de vous parler de l'opéra du Sichuan !
En effet, lors de notre séjour à Chengdu, nous avons passé une soirée à la maison de thé Shufeng Yayun, réputée pour ses représentations de l'opéra du Sichuan, et ça nous a beaucoup plu (je reparlerai de cet endroit dans le prochain article). Je n'ai pas pris énormément de photos pendant le spectacle, juste quelques-unes de quelques passages emblématiques. J'aurai aimé pouvoir illustrer plus de personnages, mais je n'en ai pas pris plus. D'ailleurs entre les lumières et l'obscurité de la salle je pensais qu'elles seraient ratées, mais au final c'est pas si terrible !
Il y a plusieurs sortes d'opéras, mais aujourd'hui nous nous intéressons au Xiqu 戏曲, l'opéra chinois, dit théâtre chanté. L'opéra chinois diffère de l'opéra européen, principalement par sa mise en scène et par le fait qu'il est composé de plusieurs types de performances. Certains types de spectacles sont très anciens, et ont été incorporés au fur et à mesure pour former l'opéra que nous connaissons aujourd'hui. L'opéra ne s'est donc pas vraiment crée de toutes pièces, il s'est construit à partir de traditions populaires beaucoup plus anciennes, pour évoluer au fur et à mesure de l'histoire. Sous les Tang (7e-10e siècles), on voit, pour la première fois, se développer des troupes officielles de danseurs et d'acteurs. L'empereur Xuanzhong forme ainsi la première école d'art du spectacle de Chine, le "jardin des poiriers" (Liyuan 梨园). L'opéra chinois se développe ensuite considérablement sous la dynastie Yuan (13e-14e siècle) et la dynastie Ming (14e-17e).
Aujourd'hui, bien que l'opéra de Pékin (jingju 京剧) soit considéré comme l'opéra national par excellence (on l'appelle aussi guoju 国剧), on retrouve en fait des opéras locaux dans toutes les provinces de Chine. Il y a plus de 300 opéras en Chine. Ces formes ont chacune leurs spécificités, mais elles partagent énormément de similarités entre elles, comme les costumes, la musique ... Elles se sont un peu toutes influencées au courant de l'histoire en fait. En général, ce qui change ce sont les dialectes et la langue, et parfois des aspects culturels ou des éléments folkloriques locaux qui sont incorporés.
Globalement, excepté bien sûr l'opéra révolutionnaire (mon ancien patron en Chine aimait beaucoup ça), les opéras chinois sont des opéras traditionnels, qui se passent tous dans un contexte ancien.
On retrouve dans l'opéra chinois :
L'opéra du Sichuan (chuanju 川剧) date de la dynastie Ming (14e-17e siècle), mais il incorpore plusieurs formes de spectacles traditionnels, dont certaines datent de l'époque des trois royaumes (220-280).
Les 3 spécificités du Sichuan (三大绝活) sont la comédie (gundeng 滚灯), le changement de masque (bianlian 变脸), et le cracheur de feu (penhuo 喷火), mais on peut tout à fait retrouver ces performances dans d'autres opéras. Par rapport à l'opéra de Pékin, l'opéra du Sichuan utilise le dialecte du Sichuan, est plus théâtral, et apparemment le chant est un peu différent.
L'opéra du Sichuan est listé au patrimoine culturel immatériel de Chine. On le retrouve évidemment dans le Sichuan, mais aussi dans une grande partie du sud-ouest de la Chine, jusqu'au Yunnan et au Guizhou. Chengdu reste néanmoins le berceau de l'opéra du Sichuan.
Les personnages de l'opéra sont très codifiés, selon leur genre, mais aussi leur rang social et leur personnalité. Il y a 4 grands types de personnages : le 生但净丑 (un ensemble que l'on retrouve dans la plupart des opéras), et de nombreuses sous-catégories de rôles.
Les costumes ne sont évidemment pas laissés au hasard, ils sont confectionnés avec la plus grande attention. Déjà parce qu'ils sont magnifiques et d'une finesse incroyable. Aussi, les matières sont importantes (les rôles d'acrobates doivent pouvoir bouger naturellement), mais aussi les coupes (les 水袖, shuixiu, les très longues manches de certains personnages qui doivent être fluides comme de l'eau), et les couleurs et détails, qui doivent représenter notamment le rang social des personnages (jaune pour l'empereur, le blanc pour les acrobates, le noir ou le bleu pour les vieux personnages plutôt dotés de sagesse...). J'ai vu un reportage récemment, et apparemment c'est hyper lourd à porter (surtout les coiffes !) Aussi, les personnages militaires portent de très longues et imposantes plumes de faisan (翎子 lingzi).
Les maquillages sont aussi très importants. Autrefois, l'opéra c'était un spectacle populaire, qui se jouait généralement en plein air, genre sur des places publiques. Il était donc important que les maquillages soient bien visibles par tous, de loin, pour une question d'esthétique, mais surtout parce qu'ils en disent plus sur les personnages. En effet, les personnages ont des personnalités très spécifiques, très marquées, et elles sont accentuées par le maquillage, notamment au niveau des yeux et des sourcils, pour souligner l'expression.
Par rapport à d'autres formes d'opéra, l'opéra du Sichuan ne met pas beaucoup en scène des personnages avec les visages peints entièrement. Il n'y a pas de personnages Jing 净 comme je le disais plus haut. Par contre, on retrouve le personnage du Hongsheng, avec sa longue barbe noire, sa robe verte et son visage rouge. Il incarne bien souvent le général Guanyu des trois royaumes, et représente la guerre et le courage. A part ça, les couleurs des peintures varient en fonction du caractère du personnage : noir pour les personnages durs et fermes; rouge pour les personnages loyaux, courageux et puissants; vert pour les personnages violents, brutaux et impulsifs; blanc pour les personnages méchants, cruels ou rusés (c'est le cas du personnage de Cao Cao des trois royaumes) ... Comme beaucoup d'aspects relatifs à l'art et au spectacle, les masques et visages peints de l'opéra chinois descendent tout droit des croyances folkloriques anciennes et des traditions primitives (totémisme, chamanisme...)
Dans l'opéra du Sichuan, peu de visages peints donc, mais les personnages vicieux ou rusés (le Chou 丑 par exemple) sont représentés avec du maquillage blanc au milieu du visage, sur le nez ou autour des yeux, ça s'appelle le xiaohualian 小花脸.
Bref, il est important que le public sache d'emblée qui sont les personnages, qui est le héros, l'allié, le traître ...
Un des aspects les plus populaires de l'opéra du Sichuan, c'est le changement de masque, ou le changement de visage (变脸 bianlian, face changing). C'est probablement la partie la plus connue à l'étranger, mais ce n'est qu'une petite partie de l'opéra. On retrouve le bianlian dans d'autres opéras, mais c'est une caractéristique propre à l'opéra du Sichuan.
Pour résumer en quelques mots, l'acteur change de masque en une fraction de seconde, un mouvement de la main ou de l'éventail. C'est très théâtral, imperceptible et très impressionnant, je comprends que ce soit si populaire à l'international ! A la base, la technique du bianlian est un secret bien gardé, qui n'était passé que de génération en génération. Les femmes ne pouvaient d'ailleurs pas apprendre le bianlian, pour la simple raison qu'elles quittaient leur famille après leur mariage et ça pouvait mettre le secret en péril ! Tout comme le maquillage, les couleurs des masques symbolisent des émotions et des caractères. Un acteur de bianlian change de masque environ 10 fois dans sa performance !
Une autre spécificité de l'opéra du Sichuan : le cracheur de feu (penhuo 喷火, fire spitting). Parfois ils sont mélangés avec le bianlian, pour encore plus de sensations fortes !
Je pense que c'est ma partie préférée, le gundeng 滚灯 ! On pourrait traduire ça littéralement en français par "la lampe qui roule" (c'est rolling lamp en anglais). C'est une pièce comique, de type paerduo 耙耳朵, en gros, le mari qui se fait tirer les oreilles par sa femme.
Dans ce sketch, le clown (un personnage Chou 丑), incarne un mari qui rentre tard après avoir été boire et faire des jeux d'argent. Sa femme n'est pas très commode, c'est le moins qu'on puisse dire, et, de fil en aiguille, elle lui fait faire des acrobaties avec une lampe à huile allumée sur la tête.
C'est absolument hilarant et absurde, et, comme vous pouvez le voir sur les photos, les expressions du visage du Chou sont incroyables !
Le théâtre de marionnettes est un art ancestral en Chine. A la base, les marionnettes avait un rôle religieux, puis leur utilisation s'est développée. C'était un art très populaire, car plus abordable et plus économique. En effet, une marionnette coûtait moins cher qu'un spectacle d'opéra grandeur nature, tant pour les troupes que pour les spectateurs. Aujourd'hui il est même encore possible de voir des spectacles de marionnettes dans les rues (j'en ai déjà croisé, mais je ne sais plus du tout où).
Le théâtre de marionnettes, mu'ouxi 木偶戏, est aussi une performance que l'on retrouve dans l'opéra chinois. Ce sont des grandes marionnettes qui sont manipulées et articulées avec des longues tiges. Les marionnettistes, et leurs marionnettes, sont vus comme des acteurs à part entière. En tous cas, elles sont très belles, et c'est comme si elles jouaient un mini-opéra !
Tout comme le théâtre de marionnettes, le théâtre d'ombre est un art ancestral que l'on retrouve aussi en Europe, mais qui tire son origine en Chine. C'est pas pour rien qu'on appelle ça les "ombres chinoises" !
Il existe du théâtre d'ombre avec des marionnettes ou des silhouettes découpées dans divers matériaux (papier, peaux, le piying 皮影, d'ailleurs inscrit au patrimoine culturel de l'humanité), mais ici je fais référence au théâtre d'ombres avec les mains, le shouying 手影.
La musique est omniprésente dans l'opéra chinois. Il y a toujours un orchestre qui joue derrière (comme vous pouvez le voir dans le fond sur mes photos), et les pièces sont toujours rythmées par des percussions, des gongs, et une sorte de clapet en bois qui produit un son assez spécifique et que l'on retrouve beaucoup dans l'opéra (je crois que ça s'appelle un paiban 拍板).
Par ailleurs, on assiste parfois à des performances de musiciens solistes, comme ce joueur de erhu. Moi ça m'enchante beaucoup, j'aime beaucoup la musique traditionnelle chinoise, et le erhu est sans doute l'instrument que je préfère !
Voilà, c'est tout pour moi ! Je ne pensais pas que cet article serait aussi long, mais je me suis un peu emballée ! L'opéra chinois est un sujet très vaste (que je ne maîtrise pas plus que ça d'ailleurs), il y a beaucoup de choses à dire. N'hésitez pas à me laisser un commentaire pour me faire part de vos impressions, et aussi n'hésitez pas à me dire si j'ai fait des erreurs ou s'il y a des confusions !
J'espère que cet article vous a plu et vous a donné envie d'assister à une représentation de l'opéra du Sichuan ! Je vous en reparle d'ailleurs très bientôt dans un autre article !