13 Novembre 2020
Dans l'article précédent (ici), je vous disais qu'il y a deux monastères à Langmusi : Kirti Gompa et Sertri Gompa, un de chaque côté de la ville (ville qui est partagée entre le Sichuan et le Gansu).
Ce sont deux monastères du Bouddhisme tibétain (藏傳佛教 zangchuan fojiao en chinois) et ils ont été construits en 1748. Ils appartiennent tous deux à la secte Gelugpa 格鲁派, plus connue sous le nom des Bonnets Jaunes, mais ça je pense que j'en reparlerais en détails dans un prochain article. Construits stratégiquement à la croisée du Gansu, du Sichuan et du Qinghai, c'est un ensemble religieux important de la région de l'Amdo tibétain. Il me semble avoir lu qu'il y avait une certaine rivalité entre les deux monastères, et que ce serait même pour ça que la frontière entre le Gansu et le Sichuan se situe entre les deux, mais je n'en sais pas plus.
Le premier monastère, Kirti Gompa 格尔底寺, gé er di si en chinois, est situé dans la partie Sichuan de la ville, dans la préfecture autonome tibétaine et Qiang d'Aba 阿坝藏族羌族自治州 et le district de Zoigê (le xian de Ruoergai 若尔盖县 en chinois). Le premier temple a été construit en 1713, et le monastère a ensuite été agrandi en 1748.
C'est le monastère que j'ai préféré. Il est bien modeste au niveau de son architecture, mais je le trouve bien plus beau. C'est magnifique et les couleurs sont splendides. J'ai par-dessus tout aimé sa position géographique. Il est entouré de collines verdoyantes, de pâturages, et est situé aux portes des gorges de Namo, non loin de la source de la rivière Bailong 白龙江. C'est aussi le plus grand des deux monastères, habité par plus de 700 moines.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les symboles qui ornent les toits et les tentures, tels que la roue du Dharma, la roue de la Victoire, les cerfs ou encore le symbole du nœud, j'en ai parlé dans cet article.
J'ai vraiment adoré cet endroit, l'ambiance de cette cité monastique est si paisible ! Il y a aussi beaucoup de Tibétains qui viennent en pèlerinage, et de nombreux nomades qui viennent s'installer autour. Ils établissent des campements et lavent leur linge (ou leur voiture) dans la rivière.
La circumambulation, c'est l'acte de tourner autour d'un objet ou d'un lieu sacré, un stupa, un temple, une statue. Mais il peut aussi s'agir d'un pèlerinage bien plus long autour d'un site naturel, comme autour du Lac Namtso ou du Mont Kailash au Tibet. Dans la tradition tibétaine, on appelle ça un kora. J'avais d'ailleurs évoqué les possibilités de kora autour des montagnes sacrées de la réserve de Yading dans cet article.
Dans la tradition bouddhiste (et hindouiste), la circumambulation se fait dans le sens des aiguilles d'une montre, en gardant donc l'objet sacré à sa droite. Même quand vous entrez dans un temple, il faut faire le tour dans ce sens. Généralement, les Tibétains font le kora en priant, un mala en main (un mala est un genre de chapelet bouddhiste, en tibétain ils sont appelés threngwa, j'en reparlerais peut-être dans un prochain article), parfois à l'aide d'un moulins à prières, en chantant, ou en récitant des mantras.
Si vous voyagez au Tibet, dans des zones ou des lieux de culte tibétains, vous verrez des fidèles se prosterner au sol. En effet, certains pèlerins dévoués s'allongent entièrement sur le sol, en général tous les 3 pas, puis, en se relevant, touchent leur front, leur bouche et leur cœur avec les deux mains jointes, tout en récitant des mantras. De cette façon, un kora de plusieurs jours peut facilement se transformer en une marche laborieuse de plusieurs semaines ! Le kora du Mont Kailash par exemple, un des pèlerinages les plus importants d'Asie (que je rêve de faire), s'effectue généralement en 3 jours, mais les pèlerins qui se prosternent le font en un mois. En fait, plus le chemin est difficile, plus le bénéfice est grand pour le fidèle. C'est pour cette raison que les kora s'effectuent généralement à pieds, et non à cheval, et ce, malgré la difficulté de certains chemins (par exemple le col du Drolma La, situé à plus de 5000m d'altitude).
A Langmusi, nous avons vu beaucoup de pèlerins effectuer des kora autour des édifices en se prosternant tous les trois pas, même des enfants. Souvent, les personnes sont équipées de planches de bois ou de carton fixées sur certaines parties de leurs corps, leurs mains ou leurs genoux, pour éviter de se blesser. Je n'ai pas osé prendre de photos des gens qui se prosternent, je trouvais que c'était un peu trop intrusif.
Parfois, sur les murs des édifices, on y voit des perles accrochées. Tout comme les mala qui permettent de compter les prières et le nombre de répétitions des mantras, les perles sur les murs permettent de compter le nombre de tours effectués pendant la circumambulation. Ingénieux !
Si vous souhaitez en savoir plus sur les moulins à prières (et aussi les drapeaux), j'en parle plus en détails dans cet article.
Le deuxième monastère est situé de l'autre côté de la rivière, après avoir traversé un large pont en bois. Il s'appelle Sertri Gompa 赛赤寺, sai chi si en chinois. Il est situé dans la partie Gansu, dans la préfecture autonome tibétaine du Gannan 甘南藏族自治州 et le xian de Luqu 碌曲县. Il est donc généralement appelé monastère du Gansu, ou monastère de Luqu.
Je pense qu'il est plus important que l'autre monastère, du moins en termes d'autorité, puisque généralement, le nom de Langmusi fait référence à ce monastère-là en particulier. Il est beaucoup plus riche et contient notamment de nombreuses reliques bouddhistes, dont le corps du 5e Bouddha Vivant, qui repose dans un stupa depuis plus de 200 ans. Il est aussi bien plus imposant au niveau de son architecture. Il est construit sur une colline et il surplombe toute la ville.
En tous cas, il est plus petit que l'autre monastère ! Avant 1958, Sertri Gompa était constitué de presque 20 salles d'enseignement, 5 collèges, dont une école de médecine traditionnelle et un institut d'impression. Il y avait à l'époque 500 moines dans le monastère. Aujourd'hui, je crois qu'il y en a environ 350 qui vivent dans ce monastère.
En 1958, pendant la Révolution culturelle, le temple est démoli. Il sera reconstruit en 1981. Cependant, en 2008, une bonne partie du monastère est endommagée à la suite du tremblement de terre. Deux ans plus tard, le gouvernement alloue un budget de 2 millions de yuan pour la rénovation du temple.
Le chorten est le nom pour désigner un stupa tibétain. Les stupas sont des édifices religieux, funéraires ou commémoratifs, destinés à recevoir des reliques ou des objets sacrés. Il y a plusieurs formes de stupas, il y en a de toutes les tailles, et les styles et matériaux diffèrent selon les régions d'Asie.
J'aurais d'autres occasions de vous parler de chorten dans les prochains articles, mais je trouve qu'on distingue bien toutes les parties qui le composent sur la photo ci-dessous. En effet, ça semble très simpliste comme structure, mais les chorten sont bourrés de symbolisme. Chaque forme a une signification, et chaque partie représente un élément et une sagesse. Pour résumer simplement, la base carrée représente la terre et le trône de Bouddha, la partie arrondie représente l'eau, la tige avec les treize disques représente le feu, et elle mène à un parasol stylisé qui représente l'air. Au dessus, on retrouve un double symbole, le soleil et le croissant de lune, qui représente l'ether, l'Esprit. Il est surmonté d'une flamme, qui représente le dernier stade de l'illumination. L'ensemble représente le corps et l'esprit de Bouddha et symbolise la progression vers l'Eveil.
En 1926, un missionnaire américain du nom de Robert Brainerd Ekvall (1898-1978) arrive à Langmusi. Il tombe sous le charme de Langmusi, de ses légendes et ses paysages, et s’y installe vers 1930.
Robert est né dans le Gansu, et ses parents étaient parmi les premiers missionnaires sur le sol tibétain. Il était plutôt bien intégré, il portait des robes tibétaines, avait assimilé les coutumes locales et se faisait appeler Xirao Zongzhe. Il parlait couramment anglais, chinois et tibétain.
A la mort de son père, Robert retourne aux Etats Unis avec sa mère, où il intègre l’université Wheaton en 1920 et épouse Betty. Ils s’engagent tous les deux auprès de l’organisation missionnaire Nyack et retournent en Chine l’année suivante, où Robert enseigna la Bible et fonda une station missionnaire dans la préfecture de Ngawa. Robert retournera aux Etats Unis en 1927, où il travailla pour le département d’anthropologie de l’Université de Chicago, avant de retourner au Tibet en 1935, où sa femme décèdera en 1940. Après ça, il rejoint l’armée avec son fils en Indochine, puis travailla en tant qu’interprète pour l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale.
Dans de nombreuses publications et interviews, il déclara avoir converti une partie de Langmusi au christianisme et avoir fondé la société missionnaire la plus reculée du plateau Qinghai-Tibet. En tous cas, Ekwall publiera des livres et des poèmes sur la Chine et le Tibet (notamment "Tibetan Skylines" et "Tibet Life"), et enseigna par la suite à l’Université de Washington.
Tout comme l'ensemble du travail des missionnaires en Chine qui a contribué à développer l'étude de la Chine en Occident, le travail de Robert Ekvall a nettement contribué à la réputation de Langmusi à l’international.
Chaque année, Langmusi accueille de nombreux festivals religieux, notamment en février pour la fête de Losar (le nouvel an tibétain). Les festivités durent 2 semaines en tout, et sont rythmées par de nombreuses cérémonies, danses, défilés de masques (les masques tibétains sont magnifiques !). C'est à cette période qu'est installé le Thangka, une gigantesque représentation de Bouddha peinte sur du tissu. Elle est faite à la main et le procédé prend des mois ! Après une grande procession, elle est ensuite déployée sur la colline, et c'est d'ailleurs à ça que servent les grands murs en béton que vous voyez près des monastères tibétains, on les appelle simplement des Murs à Thangka. En tous cas, j'aimerais trop voir ça un jour dans ma vie !
J'espère que cet article vous a plu, si c'est le cas, n'hésitez pas à le partager ! De plus, sachez que j'ai créé une nouvelle catégorie sur le blog qui rassemble tous mes articles sur les préfectures tibétaines en Chine, elle s'intitule "préfectures tibétaines", et vous la retrouverez dans le menu à droite (en bas de page sur la version mobile), dans la catégorie Voyages en Chine. A bientôt pour de nouvelles aventures !